
21 Jan Visite au Tribunal des violences faites aux femmes
Le 21 janvier dernier, la magistrate Begoña López Anguita, juge instructeur au Tribunal de la violence faite aux femmes n° 5 de Madrid, recevait une équipe de L’Entraide, la consule générale Nathalie Berthy, le consul adjoint en charge des affaires sociales Pablo Mejia, le magistrat de liaison Benoît Delepoulle, la conseillère pour les affaires sociales et des membres de leurs équipes. Un grand nombre de sujets liés à la législation espagnole contre les violences faites aux femmes et à son application ont été abordés, tous d’un grand intérêt. Nous remercions chaleureusement la magistrate pour le temps qu’elle a bien voulu nous consacrer.
La première loi contre la violence de genre en Espagne date du 25 novembre 2004. Des instances spécifiques ont alors été mises en place pour son application. La création de tribunaux d’instruction comme celui que nous avons visité s’inscrit dans cette démarche. Cette loi a ensuite évolué afin d’être plus efficace. La violence de genre a donné lieu à un “Pacte d’État” issu d’un accord entre tous les partis. Actuellement, de nouvelles négociations visent à regrouper 400 mesures, dont certaines sont inédites par rapport aux dispositifs antérieurs.
Un tribunal bien spécifique
Les Tribunaux en charge des violences faite aux femmes ont vocation à traiter l’ensemble des violences faites aux femmes, qu’elles soient physiques, psychologiques et morales mais aussi économiques ; ils apprécient ces violences dans la durée et ont un fonctionnement très particulier. C’est ce que la magistrate a mis en lumière lors de notre visite. En tant que juge d’instruction, sa fonction consiste à évaluer la situation de chaque victime dans son ensemble, à établir la gravité des délits dénoncés, à évaluer les menaces pesant sur les victimes et à déterminer les mesures à mettre en place pour les protéger, ainsi le cas échéant que leurs enfants. Un dossier d’instruction est constitué et aboutit à une résolution pénale de première instance.
L’équipe
Une assistante sociale, une personne en charge des enfants lors des déclarations des parents, la police municipale, un psychologue, un médecin légiste… Autant de partenaires qui assistent le juge d’instruction. Toutes ces personnes bénéficient d’une formation spécifique pour remplir leur mission.
Le déroulement de l’instruction
La magistrate insiste sur les caractéristiques particulières de ce type d’instruction. Les femmes appelées à témoigner ou à porter plainte sont très souvent en souffrance physique et psychologique. Elles sont démunies face au drame qu’elles traversent, craignent pour leur intégrité physique et sont plongées dans l’incertitude et la peur quant à leur avenir. Toute l’équipe participant à l’instruction – juge, assistantes sociales, psychologues, policiers… – reçoit une formation spécifique, car chaque mot prononcé, chaque geste peut soit aider, soit entraver l’avancée du dossier et sa résolution. Les interrogatoires doivent donc être menés avec beaucoup de précaution.
Afin de permettre aux mères de témoigner sans la présence de leurs enfants, une crèche encadrée par une puéricultrice est mise à leur disposition. Si les enfants doivent eux aussi être interrogés, ils peuvent le faire en compagnie d’un chien spécialement dressé pour les rassurer et leur donner confiance.
Les signalements
Les signalements et plaintes peuvent provenir des victimes elles-mêmes, de leurs proches, de témoins… mais très souvent, elles sont signalées par le médecin ayant porté assistance à la victime lors de son passage aux urgences. En Espagne, la police est informée de tout signe de violence observé sur une femme ou un enfant. Cette information donne lieu à une enquête et à d’éventuelles poursuites judiciaires.
Les délits
La violence faite aux femmes peut revêtir différentes formes, allant d’une simple bousculade aux menaces et coercitions (privation de documents d’identité, interdiction de sortir du foyer…), jusqu’aux violences physiques les plus manifestes. Elle inclut également les violences sexuelles, la traite, les mariages forcés, les mutilations, etc. La violence économique est aussi considérée comme un délit si elle se prolonge dans le temps.
La loi sur le consentement, votée en octobre 2022 (connue sous le nom de “seul un oui est un oui” – sólo sí es sí), a élargi le champ des actions considérées comme des violences de genre. Désormais, la diffusion de photos intimes ou de messages sans consentement, ainsi que le contrôle par un conjoint des appels téléphoniques de sa partenaire, sont également des délits.
La violence exercée sur les enfants du couple ou sur toute autre personne proche est une autre forme de violence, connue en Espagne sous le nom de violencia vicaria. Les risques associés doivent être évalués avec attention.
Le juge d’instruction chargé des violences faites aux femmes et à leurs proches doit déterminer les risques encourus et les mesures de protection à mettre en place, tant sur le plan pénal que civil (garde des enfants, mesures économiques, usage du domicile, etc.). C’est l’un des aspects les plus fondamentaux et délicats du processus, compte tenu des risques encourus. La magistrate souligne l’importance d’agir en urgence pour protéger les victimes.
Provenance sociale et récidives
“La violence de genre est présente dans toutes les classes sociales. En revanche, les récidives dépendent davantage de l’origine sociale”, reconnaît la magistrate. Les rechutes dans la violence sont fréquentes lorsque les femmes ne parviennent pas à s’éloigner définitivement de leur agresseur.